Ecrits

Gilbert COYER, Maître de conférences à l’université Paris 13, Sorbonne – Paris – Cité :

« Les photographies de Jean-François Fort ne sont pas des invitations au voyage, elles sont chacune un voyage. Les profondeurs minérales ou désertiques, ou les étendues qu’il a saisies et qui nous saisissent, à la fois nous arrêtent et nous emmènent, nous font verser dans la contemplation, et nous dévoilent une autre présence : la profondeur et l’esprit des matières, des mouvements d’air, d’eau, ou de chaleur révèlent véritablement leur âme. Son regard n’est pas un regard porté sur l’extérieur et l’apparence, c’est un regard profondément tourné vers l’intérieur, qui inverse le cliché : nous ne regardons pas seulement quelque-chose, ce que nous regardons s’anime et se met à exister à l’intérieur de nous. Et il n’est dès lors pas étonnant que l’objectif de Jean-François Fort produise des rencontres d’une sensibilité et d’une densité exceptionnelle. Parfois campés devant nous comme pour se présenter, nous rejoindre, et plus encore, nous accueillir ; d’autres fois nous emmenant dans les gestes où ils sont à la fois le paysage et celui qui le façonne ; des hommes, des femmes, des enfants, surgis de ce qui nous paraît être un horizon exotique ou un imagier ancien, traversent cette fois-ci l’objectif et vivent avec nous, ou plutôt nous emmènent à vivre avec eux. On n’imaginera jamais assez la vie érémitique de certains photographes comme Jean-François Fort, vivant à la fois à la marge et profondément proche des Hommes, isolé en chambre noire hors du temps, et parcourant le monde, errant sans autre idée que celle d’être là dans l’imprévisible, guidé par le seul sentiment du beau, animé d’une éthique qui place l’humain et la vie au centre d’une quête animée d’une faim de rencontre insatiable ; spirituel des temps modernes qui nous réconcilie un temps avec ce monde où la communication est devenue un voyeurisme violent et intrusif ; un temps que l’on voudrait prolonger en étant avec lui à côté de son regard ; un temps que l’on voudrait arrêter, non pas sur des moments, mais sur le moment de la rencontre humaine, universelle au-delà des costumes, des coutumes, et des âges. Jean-François Fort n’est pas un simple voyageur, il est un guide et un passeur, non pas de ces passeurs qui vous enlèvent et vous abandonnent, mais de ceux qui réveillent en vous dans un geste invisible le sentiment que la beauté du monde n’est pas seulement recueillie dans un beau regard : elle y naît et y renaît. »

27 mai 2013

Claude MARGAT, écrivain, peintre et calligraphe :

Visage

Tout l’essentiel se tient derrière le visage, sous la pâte expressive de la chair ; tout ce qui fait sens et exprime l’insensé. Entre le fond invisible où réside cet essentiel, et la surface visible du visage, s’étend tout un territoire construit sur le modèle de l’univers, un territoire où la respiration du temps condense à volonté l’espace tel qu’il s’étend devant nos yeux. Il y a toujours un décalage entre le fond d’un vivant et la surface de son visage, entre l’invisible et le visible. Chaque visage résulte d’ un modelage qui a lieu entre le fond et la surface de l’être, un modelage produit par l’exercice de la pensée. C’est d’ailleurs afin d’échapper à ce dilemme que le Chan chinois (Zen) préconise la cessation de toute pensée. Comme l’univers dont il est l’un des aspects, le visage humain reste une énigme que le regard du photographe Jean-François Fort ne cesse d’interroger. Car le visage est bien le lieu et même le seul endroit de la personne humaine où se condense une présence pour nous aussi vague qu’essentielle : l’humanité, la présence de ce qui fait que l’homme possède quelque chose de plus que son frère animal, la présence en sa propre personne d’un questionnement assez vif pour révéler la présence d’un abîme jusqu’alors invisible à nos yeux. Jean-François Fort a effectué plusieurs séjours en Asie et notamment en Chine où il a séjourné entre autre dans le Guangxi, province de la Chine au Sud du Yangzi (sous le Hunan) que je connais bien. La Chine est le pays frère qui offre en ce moment sa différence et ses visages magnifiques. Il m’est facile de comprendre la fascination de Jean-François Fort. La Chine est le pays où cohabitent les plus hautes sagesses et les passions les plus extrêmes. Ces deux pulsions contraires mais complémentaires ont façonné le regard et la pâte du visage chinois où cohabitent les myriades d’expressions d’une sagesse au plus haut fait des rouages du bon gouvernement et celles d’un goût immodéré pour le Naturel, ce qui naît spontanément de soi-même (ziran), comme le « bloc de bois brut » des taoïstes. Ainsi s’expriment à travers le visage chinois toutes les nuances qui peuvent apparaître entre le vide absolu qui constitue le terme et l’aboutissement de la sagesse, et le plein de l’humanité.

Jean-François Fort a raison de s’intéresser aux visages d’ailleurs et tout principalement à ceux qu’éclaire la lumière de l’Est. Ils sont porteurs d’une histoire que nous n’avons pas vécue et qui, de ce fait, nous interroge avec autant de force que l’énigmatique mystère des choses. La Chine et tous ses trésors s’offrent aujourd’hui généreusement et sans réserve à notre curiosité. Il ne faut point manquer ce rendez-vous déjà plein d’un jeune avenir.

27 mai 2013

Note Bio-bibliographique

Claude Margat est écrivain. Il a été initié à la pensée et à l’art de la Chine par le professeur François Cheng, aujourd’hui membre de l’Académie Française. Claude Margat a été plusieurs fois missionné en Chine dans le cadre des échanges culturels avec la France. Ces voyages ont été déterminants sur son parcours d’artiste. Il pratique le Shufa (calligraphie) depuis 1990 et peint également (à l’encre et selon les méthodes anciennes pratiquées en Chine) les paysages du pays où il vit. Il a publié trois livres sur ses voyages en Chine et ses rencontre avec des grands calligraphe dont Qin Zhu Yi et Li Shou Ping (Guangxi).

Frédéric DELAGE, journaliste :

« … Jean-François Fort a ramené des images au charme universel, magnifiées par un noir et blanc à la fois sobre et lumineux. La nature sauvage, des portraits d’hommes et de femmes : le monde berbère, celui des paysages comme celui des visages, se dévoile devant ce regard là… Jean-François Fort avoue prendre son temps pour façonner ces images comme des tableaux… »

4 juillet 200